lundi 26 janvier 2009

IV - Cas particulier du convoi 73

Le convoi 73 a connu un sort tout à fait particulier et atypique, parmi les quelque 80 convois de Juifs déportés de France. Il emmenait 878 hommes (ni femmes, ni enfants, ni personnes âgées), dans la force de l’âge, aptes au travail, car ils étaient censés aller travailler pour l’Organisation Todt et espéraient ainsi échapper à la déportation.

Pour une raison toujours inconnue à ce jour, le train a été dirigé vers les pays Baltes, 600 hommes environ qui étaient enfermés dans 10 des 15 wagons du convoi, sont restés à KAUNAS (Lituanie), les quelque 300 autres continuant la route vers REVAL (aujourd’hui TALLINN, en Estonie). Il n’y eut que 22 survivants en 1945.

Pendant 50 ans, l’histoire du convoi 73 est restée ignorée, tant des familles concernées que des historiens.

À partir de 1994, à la suite d’un concours de circonstances diverses, Mme Eve Line BLUM-CHERCHEVSKY été amenée à réaliser, à titre totalement bénévole et désintéressé, un ouvrage à la mémoire de ces déportés (parmi lesquels se trouvait son père) comportant une partie documentaire et une partie rassemblant les témoignages de près de 300 familles de ces déportés. Cet ouvrage comporte six volumes ; Mme Eve Line BLUM-CHERCHEVSKY travaille actuellement au volume VII, et il est le seul ouvrage de référence concernant ce convoi.

C’est pourquoi elle s'est beaucoup attachée à l’histoire du convoi 73, y compris à la question des actes de décès de ces déportés (annexe 27, annexe 28, annexe 29, annexe 30, annexe 31).

À ce jour, sauf omissions ou erreurs toujours possibles, 493 arrêtés ministériels nominatifs concernant des déportés du convoi 73 ont été publiés au Journal Officiel à la suite de la loi n° 85-528, parmi lesquels 60 seulement sont conformes aux dispositions de la loi précitée, suite à l’intervention de Mme S. *** évoquée dans le présent dossier. En ce qui concerne tous les autres, ils contiennent une multitude d’informations aussi variées que fantaisistes concernant le lieu et la date du décès :

Le lieu de décès est, au choix :

♦ Kaunas/Reval (Lithuanie-Esthonie)
♦ Kaunas-Reval (Lithuanie)
♦ Kaunas (Lithuanie)
♦ Kaunas-Réval (Lithuanie)
♦ Kaunas Rewel (Lithuanie)
♦ Dans la région de Reval
♦ Kaunas (Lettonie)
♦ Kaunas Reval (Lettonie)
♦ Rewal (Esthonie)
♦ en Lituanie
♦ en déportation
♦ en déportation en Allemagne
♦ en Allemagne
♦ à Auschwitz
♦ à Birkenau
♦ l’an 1944 en fin d’année à Dachau
♦ le 20 mai 1944 (sans autres renseignements)
etc.

La date de décès est variable, même si, la plupart du temps, elle est correcte (20 mai) :

19 mai 1944
en juillet 1944
le 16 mai 1944
le 22 mai 1944
en mai 1944
24 avril 1944 (3 semaines avant le départ du convoi !)

Bilan :

- 878 déportés par le convoi 73 ;
- 22 survivants en 1945 ;
- 428 arrêtés ministériels dont seulement 60 sont rédigés conformément aux dispositions de la loi et dont 368 sont donc à rectifier.

Il reste à établir environ 433 actes de décès actuellement inexistants ou à rectifier ceux qui existent déjà mais qui n’ont pas encore été étudiés par les services compétents
(annexe 27, annexe 28, annexe 29, annexe 30, annexe 31).

Il faut noter également quelques cas spécifiques :

- La loi n° 85-528 précise, dans son article 3 : « Lorsqu’il est établi qu’une personne a fait partie d’un convoi de déportation sans qu’aucune nouvelle ait été reçue d’elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi ». Que faut-il entendre par « sans qu’aucune nouvelle ait été reçue d’elle » ? Faut-il prendre cette phrase stricto sensu, et considérer qu’il s’agit de nouvelles transmises directement par le ou la déporté(e) ? Ou bien faut‑il assimiler les témoignages de survivants comme nouvelles des victimes reçues postérieurement à la date du départ du convoi, comme cela a été fait ?

Parmi les témoignages concernant le décès avéré de quatre déportés du convoi 73, qui ont permis l’établissement de jugements déclaratifs de décès, deux d’entre eux sont discutables et très vraisemblablement erronés, car ils affirment que le décès est survenu dans des camps d’extermination où il semble matériellement impossible que ces déportés soient parvenus. Mais comme personne ne pourra plus jamais contester ces témoignages, ils resteront ce qu’ils sont.

Un autre témoignage, indiscutable, concerne un déporté parti de Drancy sous un faux nom. La seule preuve de son existence et de son décès est donc précisément ce témoignage. Cependant, aucun arrêté ministériel nominatif n’a encore été établi à son nom. Ce déporté, Moïse TURISKI, n’existe donc tout simplement pas officiellement, tandis que son nom d’emprunt, Anatole BELICHEF (celui d’un homme n’ayant jamais été déporté et décédé après la fin de la guerre) est gravé sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah…

- Comme indiqué précédemment, et comme cela apparaît dans l’annexe 29, il faut noter quelques arrêtés ministériels nominatifs qui ont été établis au nom de personnes qui n’ont pas fait partie du convoi 73 et ne peuvent aucunement être décédées à KAUNAS (Lituanie), notamment quelques femmes (alors que le convoi 73 n’emmenait que des hommes) d’autant plus que leurs noms sont inscrits dans les listes établies au départ d’autres convois dirigés vers AUSCHWITZ. Lorsque Mme Eve Line BLUM-CHERCHEVSKY a sollicité la rectification de ces mentions, il lui a été répondu qu’il lui appartenait d’apporter la preuve que ces personnes n’étaient pas dans le convoi 73… ???!!!